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souvenirs maritimes

vie d'un marin

Histoire d’immersion.

~~ Le texte est en langage maritime breton/français.

À lire avec l’accent de Plougastel Daoulas.

Nous aut’, aux sous-marins, il nous arrife toujours des histoires pas ordinaires, même qu’on dirait parfois que Mait’ Pol y met son bouc dedans.

— Paye donc à boir Job, la prochaine sera pour moi.

Aujourd’hui c’est pas un jour à dire des tristesses et l’histoire que je vas vous dire vous allez pas la croire. Pourtant elle est vraie ; elle m’a été racontée par un ancien qu’il avait fait la guerre sur les U-bottes et qu’il avait pris ses invalides comme premier-mait’. Çui-ci il était venu au congrès des anciens sous-mariniers dont je suis, comme qui dirait, une espèce de secrétaire bénévole.

C’est arrivé à bord d’un U-botte qu’il portait un nom de graisse (UC 20 qu’il s’appelait) vers 1913. Y faisait du trafic d’armes pour le compte du Kaiser qu’était le roi d’Allemagne, entre Pola sur la Driatique et le Magreb, l’Afrique du Nord comme on dit quoi. À un voyage, le commandant il avait reçu le cheik, c’est une espèce de caïd du pays ; il l’avait traité, et croyez-moi pas avec le dousse de la cambuse. Heureux qu’il était le cheik (pas gêné par le Koran, leur lif’ de prière qui interdit l’alcool), oh sur il était pas bu, mais bien bien, quoi, joli comme à Bres’ ; meme qu’il lui a donné de retour comme cadeau un dromadaire qui est une ‘spèce de chameau à une bosse. Le commandant y se grattait le crâne sous sa casquette.

— Gast alors, qu’il se disait en allemand, comment diap’ je vas pouvoir envoyer ce failli bestiau avec moi au pays ? Mais c’était pas la moitié d’un couillon. Y va voir le cheik, et lui dit de faire pousser le chameau dans l’eau. Puis il gueule :

— Larguez partout ! Fermez les panneaux ! Alerte 15 mètres ! Gouverne comme ça et en douceur fils ! Un peu plus vite que stop ! Même que l’officier torpilleur y comprenait plus rien !

— A gauche rondement ! Chassez partout !

Le sous-marin fit surface et le chameau resta en pendant sur la plage avant les jambes de devant à tribord, les jambes de derrière à bâbord et pas plus fier que ça. Le patron alla sur l’avant et avec plusieurs hommes il l’aida à se mett’ sur ses pattes et l’amarra près du massif. Y z’avaient embarqué pour le chameau à manger et à boire. Oui da, de l’eau bien sur pas du rouche. L’UC20 appareilla. Le commandant y se demandait bien ce qui arriverait s’ils devaient plonger vu que les chameaux c’est une espèce d’animal différent des poissons et que l’eau ils aiment pas. Et ça on savait rapport à ses difficultés à son embarquement. Le second qui lui non plus n’était pas la moitié d’un couillon (pas étonnant aussi qu’ils aient failli gagner la guerre) lui dit :

— sauf vot’ respect commandant, on peut plonger avec le chameau. J’ai mesuré. Si on va à 12,5 mètres y peut encore respirer. J’ai fait un repère sur les manomètres du central.

— Gast araz, qu’il répond le vieux, on va essayer. Alerte ! Immersion chameau !

—- Immersion chameau, ronde d’étanchéité ! Qu’il fait le mait’ de central. Ils naviguèrent ainsi, comme qui dirait de conserve, tantôt en surface, tantôt à l’immersion chameau. Même que pour rire un coup le commandant plongea devant Pola pour faire peur à des pauv’ pécheurs qu’ils connaissaient le serpent de mer mais pas le chameau de mer.

—- A bé gast alors, Lom, ce coup ci arrête tes blagues et paye donc à boire ce sera mieux.

Sur les sous-marins français de 800 tonnes il existe, sur l’avant du kiosque, un projecteur vertical appelé « lampe de plongée » permettant, la nuit ou au crépuscule,de se faire repérer par un navire de surface ou un avion. Ce projecteur est, naturellement, très puissant. En septembre 1970, sur La Junon, nous étions à l’immersion périscopique au large du golfe d’Ajaccio et nous avons vu un voilier qui rentrait tranquillement vers le port. Le commandant eu l’idée alors, d’allumer la lampe de plongée et de faire le tour du voilier en ne gardant que la tête du périscope de combat au ras de l’eau. Le résultat dépassa toutes nos espérances ! Les voiles furent rentrées en un tour de main, le moteur démarré et le voilier partit à fond de train vers Ajaccio en clamant sa terreur sur la radio. Nous avons, discrètement, éteint le projecteur, rentré le périscope, descendu en immersion profonde et mis le cap, en catimini, vers le large. Je reste persuadé que cette histoire doit encore traîner dans les bars du port de plaisance de l’Amirauté à Ajaccio !

(extrait de mon livre "Il y a boire et boire" en autoédition.

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